Catégories: Droit des sociétés et droit commercial, Fusions-acquisitions, Notariat, Restructuration et insolvabilité, Droit fiscal

Le nouveau droit des sociétés, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2023, prévoit de nombreux aménagements et innovations en matière de perte de capital, de surendettement et de menace d’insolvabilité. Dans cet article de notre série de blogs sur le nouveau droit des sociétés, nous mettrons en lumière ce qui devra être pris en compte.
Introduction
L'une des innovations les plus importantes du nouveau droit des sociétés (dont l'entrée en vigueur est prévue pour le 1er janvier 2023) est la possibilité pour les sociétés anonymes suisses (la SA) (mais pas pour les sociétés à responsabilité limitée, Sàrl) d'introduire dans leurs statuts une marge de fluctuation de capital (art. 653s-653v CO). Ce blog a pour objectif de présenter les conditions et explorer les possibilités qu'offre cette nouveauté du droit suisse en pratique.
Vue d'ensemble
La marge de fluctuation du capital est une disposition statutaire qui autorise le conseil d'administration (le CA) à augmenter et/ou à réduire le capital-actions ordinaire inscrit au registre du commerce au moment de son introduction, pendant une période maximale de cinq ans et dans une marge de 50% au maximum, tels que précisés par l'assemblée générale des actionnaires (l'AG) qui l'adopte (art. 653s CO).
Dans le cadre fixé par l'autorisation donnée par l'AG, le CA peut augmenter et/ou réduire le capital-actions de manière flexible, comme il le souhaite. Ce faisant, il peut, pour des raisons importantes, limiter ou supprimer les droits de souscription des actionnaires existants et répartir autrement les droits de souscription non exercés ou supprimés. Après chaque augmentation ou réduction, le conseil d'administration procède aux constations requises par la loi et modifie en conséquence les statuts, dans une décision prise en la forme authentique (art. 653u CO) et déposée pour inscription au registre du commerce (art. 647 CO).
Conditions préalables et limites de la marge de fluctuation
La décision de l'AG sur l'institution d'une marge de fluctuation du capital requiert une adoption à une (double) majorité qualifiée (art 704 al. 1 ch. 5 CO), comme c'était le cas auparavant pour l'augmentation autorisée du capital-actions. L'art. l'art. 653t al. 1 no. 1-10 CO définit le contenu nécessaire des statuts sur cette question.
L'AG peut limiter les pouvoirs du CA dans les statuts (par le biais de restrictions, de charges et de conditions, art. 653t al. 1 no. 3 CO). En particulier, les statuts peuvent prévoir que le CA ne peut qu'augmenter ou, alternativement, que diminuer le capital-actions (art. 653s al. 3 CO). Dans le premier cas, la fluctuation du capital correspond en grande partie à l'augmentation autorisée de capital actuelle (art. 651, 651a CO) - bien que celle-ci soit limitée à deux ans -, qui cessera donc d'exister en tant qu'instrument distinct à l'avenir. Dans le second cas, la fluctuation de capital correspond à une sorte de "réduction autorisée de capital ", que le droit actuel ne connaît pas.
En tout état de cause, la ou les réductions de capital ne peuvent pas ramener le capital-actions en dessous du capital-actions minimum légal de la SA, soit CHF 100'000.
La période maximale de cinq ans commence avec la décision de l'AG d'introduire une marge de fluctuation du capital.
Pas d'opting-out dans le cas d'une marge de fluctuation du capital avec réduction de capital
Les sociétés dont les statuts prévoient une marge de fluctuation du capital avec la possibilité de réduire le capital doivent faire réviser leurs comptes annuels, au moins de manière restreinte. La renonciation au contrôle restreint (art. 727a al. 2 CO, opting out) n'est alors plus possible pour des raisons de protection des créanciers (art. 653s al. 4 CO). Les sociétés qui ont renoncé à un contrôle par opting-out ne pourront pas réduire leur capital-actions dans le cadre de la marge de fluctuation du capital mais devront procéder à une réduction ordinaire du capital-actions (art. 732ss CO). En revanche, une société dont la marge de fluctuation du capital n'autorise le conseil d'administration qu'à augmenter le capital-actions peut toujours renoncer au contrôle restreint.
Combinaison de la marge de fluctuation du capital avec les autres mesures touchant le capital-actions
Le capital autorisé, tel qu'il existe dans le droit actuel, restera valable jusqu'à son expiration, mais il ne peut pas coexister avec la marge de fluctuation du capital. Aussi, si une marge de fluctuation du capital est introduite dans les statuts, le capital autorisé existant doit être révoqué.
Le capital conditionnel, quant à lui, peut soit continuer à exister parallèlement à la marge de fluctuation du capital, soit être intégré à celle-ci. Si l'AG décide d'introduire un capital conditionnel après avoir adopté une marge de fluctuation du capital, les limites supérieure et inférieure de la marge de fluctuation du capital sont relevés en fonction du montant de l'augmentation du capital-actions. L'AG peut également autoriser le CA à augmenter le capital-actions avec du capital conditionnel dans les limites de la marge de fluctuation existante (art. 653v al. 2 CO).
Si l'AG décide d'une augmentation ou d'une réduction ordinaire du capital-actions ou d'un changement de monnaie du capital-actions pendant la durée de la marge de fluctuation, la décision sur la marge de fluctuation du capital devient caduque pour des raisons de sécurité juridique et les statuts doivent être modifiés en conséquence (art. 653v al. 1 CO). L'AG est toutefois libre de prévoir à nouveau une marge de fluctuation du capital immédiatement après la décision sur l'augmentation, la réduction ou le changement de monnaie du capital-actions.
Aucun effet sur les fusions et scissions
La disposition sur les limites inférieures et supérieures maximales (+/-50%) de la marge de fluctuation (art. 653s al. 2 CO) ne s'applique pas en cas de fusion par absorption et de scission (art. 9 al. 2 et 33 al. 2 LFus). Il en va déjà de même pour l'art. 651 al. 2 CO, selon lequel l'étendue d'une augmentation autorisée du capital est limitée à la moitié du capital-actions précédent.
Traitement fiscal de la marge de fluctuation du capital
L'évaluation des impacts fiscaux de la marge de fluctuation du capital (en particulier en ce qui concerne le droit de timbre et le remboursement des réserves provenant des apports en capital) n'est effectuée qu'à la fin de la durée de la marge de fluctuation du capital sur la base d'une appréciation nette des augmentations et des réductions éventuelles. L’assiette de la contrepartie fiscale sera le montant dont le capital-actions a été augmenté ("net") à la fin de la marge de fluctuation du capital. Cette approche considère la marge de fluctuation du capital comme une unité.
A l'avenir, l'annexe aux comptes annuels devra également contenir toutes les augmentations et réductions du capital auxquelles le conseil d'administration a procédé dans les limites de la marge de fluctuation du capital, à moins que cette information ne ressorte déjà du bilan ou du compte de résultat (art. 959c al. 2 n° 14 CO).
Conclusion
Les dispositions relatives à la marge de fluctuation du capital peuvent offrir aux entreprises intéressées (par exemple, les start-ups, les PME) de nouvelles possibilités d'accès rapide à de nouveaux capitaux et, en particulier, de permettre au CA d'ajuster avec flexibilité les fonds propres de la société aux besoins réels et en temps opportun.
L'assemblée générale des actionnaires peut dès aujourd'hui décider de l'introduction d'une marge de fluctuation de capital - par le biais d'une modification des statuts conditionnée à l'entrée en vigueur du nouveau droit des sociétés (cf. notre blog d'introduction au nouveau droit des sociétés (Le nouveau droit suisse des sociétés)). Toutefois, selon la communication OFRC 1/22 de l'Office fédéral du registre du commerce (OFRC), la réquisition d'inscription auprès du registre du commerce compétent ne peut avoir lieu qu'à partir du 1er janvier 2023. Il est important de noter que si, après une telle introduction conditionnelle dans les statuts d'une marge de fluctuation du capital, les statuts sont à nouveau modifiés (sans condition) avant le 1er janvier 2023, la modification conditionnelle des statuts sur la marge de fluctuation du capital devra faire l'objet d'une nouvelle décision.
Une planification minutieuse et prospective peut s'avérer utile voire nécessaire, surtout avant cette période riche en tenue d'AG. Votre équipe VISCHER se fera un plaisir de vous aider. Personnes de contact: Lukas Züst, Thomas Steiner-Krizaj, Peter Kühn (Zurich) et Damien Conus (Genève).
Autres articles de la série:
- Le nouveau droit suisse des sociétés entrera en vigueur le 1er janvier 2023 (no. 1)
- L'assemblée générale sous le nouveau droit des sociétés - Qu'est-ce qui change? (no. 2)
- Perte de capital, surendettement et menace d’insolvabilité (no. 4)
- Le nouveau droit suisse des sociétés – Décisions importantes (no. 5)
- Nouveau droit des sociétés: Augmentation et réduction de capital (no. 6)
- Nouveau droit des sociétés : Reprise de biens envisagée (no. 7)
- Nouveau droit des sociétés anonymes : La libération par compensation (no. 8)
- Nouveau droit des sociétés : Dividendes intermédiaires (no. 9)
- Nouveau droit des sociétés : Restitution des prestations (no. 10)
- Nouveau droit des sociétés : Capital-actions en monnaie étrangère (no. 11)
- Nouveau droit des sociétés : Règles simplifiées sur les réserves (no. 12)
- Nouveau droit des sociétés: Représentation des actionnaires (no. 13)
- Nouveau droit des sociétés : Modifications pertinentes en matière de fiscalité (no. 14)
- Nouveau droit des sociétés : Droit aux renseignements, à la consultation et à l'institution d'un examen spécial (no. 15)
- Nouveau droit des sociétés : Clause d'arbitrage statutaire (no. 16)
- Nouveau droit des sociétés : Allégements de la signature des réquisitions d'inscription au registre du commerce (no. 17)
- Conseil d'administration : aspects choisis du nouveau droit de la société anonyme (no. 18)
- Nouveau droit des sociétés : La décision par voie circulaire du conseil d'administration (no. 19)
- Nouveau droit des sociétés : Demande d'inscription au registre du commerce par un tiers autorisé (no. 20)
Auteurs: Lukas Züst, Thomas Steiner-Krizaj, Peter Kühn
Traduction: Damien Conus